LES ENFANTS ne sont pas des pendules

 

Les livres de puériculture et les magazines insistent souvent sur la nécessité pour les enfants d’avoir des rythmes absolument réguliers, que ce soit pour se nourrir, dormir, prendre leur bain, etc. Est-ce vraiment une obligation ?

En octobre dernier, la presse se faisait l’écho d’une vaste étude portant sur plus de 10 000 enfants anglais âgés de 3 ans et demi et 7 ans (1) , qui concluait à un lien entre des horaires irréguliers de coucher pendant la semaine et des troubles du comportement (tendance à l’hyperactivité ou difficultés émotionnelles) tels que décrits, dans des questionnaires, par leurs mères et instituteurs. Pour les neuropsychiatres, c’était clair : « L’irrégularité perturbe les rythmes biologiques, qui ont un rôle dans le développement du cerveau, et induit en outre une privation de sommeil (2) . » Est-ce vraiment aussi clair ?

enfants SOS

Le lien de cause à effet est-il établi ?

Dans leur réponse à l’étude, également publiée dans Pediatrics (3) , d’autres chercheurs travaillant sur le même sujet faisaient remarquer que le lien pouvait aussi bien être inverse : n’était-ce pas parce que ces enfants avaient des problèmes de comportement (notamment une plus grande agressivité) qu’ils avaient des problèmes de sommeil (résistance à aller se coucher, difficulté à s’endormir, cauchemars, etc.) ?

Au moment où est sortie l’étude de Pediatrics, je lisais un livre écrit par une journaliste sinoaméricaine (4) qui, vivant en Argentine au moment où elle a eu son premier enfant, a été frappée par les différences existant entre la façon dont les Argentins sont avec leurs enfants et celle qu’elle avait connue aux États-Unis, et a eu envie d’aller enquêter ailleurs dans le monde. Son premier chapitre s’intitule « Comment les enfants de Buenos Aires se couchent à pas d’heure ». Elle raconte : « Les nuits d’été, les rues de Palermo, notre quartier, sont bondées de familles en goguette.

À 22 heures, les parillas s’apprêtent tout juste à accueillir leurs premiers clients, dans une odeur appétissante de steak grillé. Parmi les élégants qui attendent une table en prenant l’apéro, debout sur le trottoir, on trouve bon nombre de parents avec enfants, discutant gaiement, accoudés à des poussettes pleines de bébés rieurs. » Pour être allée l’an dernier à Buenos Aires, je confirme ! Alors, tous ces enfants argentins qu’on laisse à l’occasion veiller très tard auront-ils plus tard des problèmes de comportement ?

Je ne le pense pas. Bien sûr, il existe des enfants qui ne sont pas bien quand leurs rythmes sont chamboulés. Les parents s’en aperçoivent assez vite, et auront effectivement intérêt à respecter une certaine régularité dans la vie quotidienne. Mais de là à dire que tous les enfants devraient absolument se coucher à heure fixe… Cela me fait penser au célèbre pédiatre néozélandais Truby King qui préconisait au début du 20e siècle (et toute la puériculture moderne s’est engouffrée derrière) d’élever les bébés « by the clock (5)  » (tétées, sommeil, selles). En 1928, une revue française, La Revue de la famille, publiait une « horloge des nourrissons » découpant la journée en séquences minutées (tétées, sommeil, bain).

Et dans le roman de Mary McCarthy, Le groupe (6)- (1962), le personnel de la maternité estime que « les bébés sont des pendules qu’il nous faut régler avant de les remettre à leur mère » ! Alors non, les bébés et les enfants ne sont pas des pendules, et leurs parents ne sont pas leurs horlogers !

RESSOURCES : 1- Kelly Y. et al., « Changes in Bedtime Schedules and Behavioral Difficulties in 7 Year Old Children », Pediatrics, 2013, en ligne le 14 octobre.

 / 2 – http://sante.lefigaro.fr/actualite/2013/10/25/21440-se-coucher-heure-fixe-favorise-sante-enfants

  3 – http://pediatrics.aappublications.org/content/early/2013/10/09/peds.2013-1906   

/4 – Mei-Ling Hopgood , Comment les Eskimos gardent les bébés au chaud, et autres aventures éducatives du monde entier, Éditions JC Lattès (2013).

/ 5 Que l’on pourrait traduire par « à la pendule » ou « montre en main ».

/6 Éditions Gallimard (1983) pour la traduction française.

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